François Brun ingénieur de recherche au CNRS (GTM- CRESPPA) se donne pour un être de la Frontière et des Marges, d’où sans doute sa profonde aversion pour toute forme de catégorisation et de typologie et par suite de toute tentative d’évaluation
Frontière disciplinaire : ayant fait des études de lettres classiques, il est aujourd’hui communément présenté comme sociologue, bien qu’il n’y connaisse que couic. Fin observateur, à qui rien d’humain n’est étranger, Christopher Marlowe se plaît à pointer plutôt ses qualités de rhétoricien et moraliste.
Il a au demeurant rédigé (sa première Grande Œuvre- malheureusement aujourd’hui perdue) un rapport de maîtrise dans un département d’Histoire sur les « Invasions Normandes d’après les textes latins contemporains ». On notera que, dès cette époque, ce qui suscite son intérêt, c’est le contact avec tous ses aléas (meurtres, viols et incendies d’un côté ; incompréhension et stigmatisation de l’autre) entre deux mondes qui éprouvaient une certaine difficulté à réguler leurs échanges.
Cette première approche le conduisit, des années durant, à tenter d’approfondir une réflexion sur la faute et sur l’équilibre des responsabilités qui ne saurait être mieux exprimée que dans ce superbe texte du grand philosophe Pierre Desproges qui demeure sa principale référence théorique :
On ne m’ôtera pas de l’idée que, pendant la dernière guerre mondiale, de nombreux juifs ont eu une attitude carrément hostile à l’égard du régime nazi. Il est vrai que les Allemands, de leur côté, cachaient mal une certaine antipathie à l’égard des juifs. Ce n’était pas une raison pour exacerber cette antipathie en arborant une étoile à sa veste pour bien montrer qu’on n’est pas n’importe qui, qu’on est le peuple élu, et pourquoi j’irais pointer au vélodrome d’hiver, et qu’est-ce que c’est que ce wagon sans banquette, et j’irai aux douches si je veux…
Quelle suffisance !
Ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit. Je n’ai personnellement aucune animosité particulière contre ces gens-là. Bien au contraire. Je suis fier d’être citoyen de ce beau pays de France où les juifs courent toujours.
Je sais faire la part des choses. Je me méfie des rumeurs malveillantes. Quand on me dit que si les juifs allaient en si grand nombre à Auschwitz, c’est parce que c’était gratuit, je pouffe.
Paradoxalement, François Brun (d’ailleurs demi-juif lui-même) n’en est pas moins un acteur impliqué jusqu’au manichéisme dans les luttes de son temps : derrière cette apparente contradiction qui renvoie, pour certains observateurs, à une forme de « relativisme absolu », on retrouve en fait constamment ce souci de dépasser en les assumant pleinement les antagonismes les plus violents aussi bien entre les personnes qu’entre les idées. Sa volonté récurrente de pendre x avec les tripes de y ne se départit ainsi jamais d’une certaine tendresse à l’égard de l’un comme de l’autre.
Il était dès lors naturel que cette posture le conduisit à travers un intérêt pour les controverses et tous les régimes d’argumentation qui, par hypothèse ne peuvent se déployer qu’aux Frontières, jusqu’à Doxa.
Tout ce qui peut entrer dans une qualification de François Brun est à l’avenant.
Il faudrait le désigner aussi comme un chercheur qui s’affirme incapable de faire la part du travail dit scientifique et de l’engagement militant (d’abord, comme il se doit en faveur des migrants) ; comme un lecteur de Proust, de polars et de SF ; comme un zélateur de la francophonie qui ne cesse de conspuer l’Impérialisme américain que pour se précipiter sur la première série américaine ; comme un être du 16ème siècle égaré au 20éme et même jusqu‘au 21ème ; comme un macho dépourvu de toute forme d’appétence sexuelle envers la gent féminine ; comme un amateur de plats sucrés-salés et de frichtis où on ne reconnaît rien ; bref à l’instar du Dieu de Nicolas de Cues, comme un cercle dont le centre est partout et la circonférence nulle part.